Le MANUEL «NOUVELLE SUISSE» (Diaphanes Verlag) est maintenant disponible en librairie - plein de migration, de diversité et d'appartenance multiple. Il crée une plate-forme multivoix qui souhaite inviter à la réflexion, à la conversation et à la discussion – et qui doit avant tout encourager: solidairement et en autocritique. Si vous voulez vous en faire une idée, vous pouvez lire l'introduction ici.

La question de savoir si la Suisse est un pays d'immigration n'est pas seulement débattue depuis hier. Mais l'acceptation de l'initiative populaire fédérale «Contre l'immigration de masse» le 9 février 2014 a marqué un tournant dans la politique migratoire. Après le choc et la consternation initiaux, nous avons été convaincus que le moment était venu de surmonter le récit de la «surpopulation étrangère» qui régit les débats sur l'immigration depuis les années 1960. Car la réalité démographique de la Suisse raconte depuis longtemps une autre histoire. Dans les mois qui ont suivi le vote, de nombreuses discussions et réunions ont eu lieu et diverses initiatives de la société civile ont vu le jour. Entre autres choses, un réseau de personnes s'est formé, qui ont uni leurs forces à la suite d'un référendum qui n'a été accepté que par 22% des personnes résidant alors en Suisse, afin de jeter un coup d'œil sur un autre avenir, une Nouvelle Suisse. Nous nous sommes mis à la recherche de moyens de dépasser le mode de penser en «Suisses» et en «Étrangers», et de créer un nouveau «Nous», un nouveau «Nous» durable pour une Suisse à l'ère de la migration et de la mondialisation.

Nous avons donc commencé à regarder où nous en étions et à nous demander comment nous en sommes arrivés là, et où nous voulons aller. Nous avons commencé à expérimenter à l'intersection de la théorie et de la pratique: un an après l'acceptation de l'initiative contre l'immigration de masse, certains d'entre nous ont organisé avec des syndicalistes le premier congrès des migrants et des personnes issues de l'immigration. La même année, d'autres d'entre nous ont organisé le festival d'humour antiraciste Laugh up! Stand up! pour promouvoir ses propres formes d'humour dans l'humour traditionnel et pour donner une voix aux personnes touchées par l'exclusion raciale. Le projet artistique dialogique «Le monde entier à Zurich» a également vu le jour à partir de ce réseau dans la Shedhalle de Zurich, dans le but d'intervenir activement dans la politique migratoire suisse. Le projet a été l'une des rampes de lancement d'autres initiatives telles que le mouvement «Ville pour tous», désormais actif dans toute la Suisse, l'alliance contre le racisme institutionnel contre le profilage racial, la première série de Late Night Show kanak «Salon Bastarde» et la fondation de la table ronde du racisme bernois. Last but not least, un élément très important de ces débuts a été l'échange avec des représentants de mouvements tels que «Bla*Sh, réseau afro- et queerféministe» et le «Collectif Afro-Swiss» de Genève, ainsi que de nombreux autres projets d'émancipation migratoires et antiracistes.

Malgré cette atmosphère de renouveau, il était également clair qu'il fallait de nouvelles perspectives pour l'ensemble de la société et une vision pour les prochaines décennies. À partir de 2015, l'idée de construire un think & act tank commun au-delà de ces initiatives encore largement isolées s'est concrétisée afin de pouvoir modifier durablement à long terme le discours politique sur la société de migration en Suisse. En mai 2016, 15 personnes de toute la Suisse se sont réunies à Montezillon, au-dessus de Neuchâtel, pour créer l'Institut Nouvelle Suisse INES. De nombreuses autres réunions devraient suivre.

On ne peut pas revenir en arrière

Au cours des dernières décennies, la société suisse a radicalement changé en raison de la migration et de la mondialisation. Il n'est pas rare que l'on attribue ce changement à la part croissante de la population issue de l'immigration. En 2019, ce chiffre était de 37,7%, et la tendance est à la hausse, chez les adolescents et les enfants, il dépasse même 50% aujourd'hui. Cependant, la distinction entre les personnes issues ou non de l'immigration est beaucoup trop grossière pour saisir la complexité d'une société caractérisée par la migration; une société dans laquelle les mondes de vie transnationaux et l'appartenance multiple ne sont pas seulement des notions et des concepts académiques, mais une vie quotidienne vécue. L'immigration de main-d'œuvre étrangère depuis la Seconde Guerre mondiale, le regroupement familial et la migration croissante de fuite et d'asile depuis les années 1980 ont irrévocablement changé le visage de la Suisse dans la vie quotidienne, dans les rues, dans les salons, les écoles, les associations, les hôpitaux et les entreprises. Jamais les clichés sur l'apparence et la vie des Suisses n'ont été moins adaptés à la réalité sociale du pays. Cependant, ils façonnent encore aujourd'hui l'identité nationale et, par conséquent, les discours, les lois et les institutions médiatiques et politiques. La conséquence en est un déficit démocratique qui s'est accumulé au cours des décennies et qui se traduit le plus clairement par un chiffre: 25%. Ainsi, environ un quart de la population résidant en Suisse de façon permanente n'a pas la citoyenneté suisse; non seulement parce que les immigrants sont nombreux, mais aussi parce que la naturalisation est trop faible et trop restrictive. Et même ceux qui ont un passeport suisse ne sont pas sûrs de leur appartenance symbolique, si leur langue, leur apparence et leur mode de vie ne s'inscrivent pas dans l'image dominante.

Le paysage politico-médiatique est également à l'ombre du thème de la migration. Depuis la découverte de ce «sujet qui fâche» il y a environ un demi-siècle, le pays se dispute publiquement sur la forme à lui donner. Avec l'histoire mondiale de l'État-nation moderne et ses imbrications dans l'histoire coloniale, des idées différentes sur les «Autres», qui produisent des formes spécifiques de racisme, se sont également établies en Suisse. Cependant, cela conduit également à ce que de plus en plus de personnes rejoignent différentes formes de lutte contre le racisme, comme l'a montré le mouvement Black Lives Matter à l'été 2020. Le présent est caractérisé par de nombreuses controverses et conflits, dans lesquels les relations entre un «Nous» et les «Autres» sont renégociées. La controverse constante sur la migration et l'intégration a développé une dynamique propre; au niveau politique, cela a conduit à une polarisation entre les forces qui considèrent l'immigration comme une menace et qui souhaitent préserver les notions nationales d'identité, et les forces qui considèrent la diversité liée à la migration comme un enrichissement.

La pluralisation plutôt que la polarisation

Ce qui manque dans ces modèles binaires, ce sont les perspectives qui veulent surmonter cette polarisation et adopter à la place une attitude pragmatique et réaliste. La migration et la pluralisation qui y est associée ne sont ni bonnes ni mauvaises. Il s'agit simplement de faits dans un monde de guerres, de différences de richesse, de catastrophes climatiques, de communication mondialisée et de mobilité accrue. Des faits qui ouvrent à la fois de nouvelles possibilités et des défis.

Il s'agit de façonner cette réalité post-migrante de la Suisse dans l'esprit de la Constitution et de ses valeurs: démocratique, libérale, solidaire, fondée sur les droits de l'homme et socialement juste. Cette attitude a le potentiel d'être le point de départ d'un nouvel avenir. Nous reconnaissons ainsi que nous, c'est-à-dire ceux qui sont déjà là aujourd'hui et ceux qui viendront demain, sommes en fait membres d'une communauté de destin. L'aveu d'une telle citoyenneté crée de nouveaux espaces de conception. Nous devons parler de la question: qui et qu'est-ce que la Suisse, que veut-elle et peut-elle être?

INES s'est donné pour tâche d'examiner ces questions, et de se lancer dans la recherche d'un nouveau sens de la communauté, d'une nouvelle démocratie à l'ère de la migration et de la mondialisation en échangeant avec les acteurs de la société: aussi déterminés qu'ouverts aux résultats, prudents et bruyants à la fois, sérieux et ironiques, avec clarté et indulgence. La «Nouvelle Suisse» et le présent manuel veulent être à la fois une rétrospective historique, une analyse du présent et une offre de discussion pour un avenir commun.

Sur les épaules de beaucoup

Historiquement, INES s'inscrit dans la tradition de nombreuses initiatives depuis les années 1960, dont l'objectif était de rendre la nouvelle réalité de l'immigration solidaire et durable. Le premier mouvement national, appelé initiative Mitenand, a été lancé à la suite de l'initiative Schwarzenbach de 1970. Celle-ci avait exigé une limitation de l'immigration et une défense plus forte contre la surpopulation étrangère, et est devenue le prototype de plusieurs autres votes, jusqu'à aujourd'hui. Depuis la fin des années 1960, une large alliance de voix ecclésiastiques, bourgeoises, libérales et de gauche, de personnes avec et sans nationalité suisse, s'est engagée pour la première fois dans le mouvement Mitenand en faveur d'une politique d'immigration humaine. Dans le cadre de ce mouvement, les organisations de travailleurs immigrés, en particulier d'Italie et d'Espagne, ont joué un rôle majeur. Même si l'initiative populaire a échoué dans les urnes, le mouvement a constitué un terreau discursif et institutionnel pour de nombreux autres projets depuis les années 1980 qui misent sur la solidarité: le mouvement de l'asile, les nombreuses associations et organisations migrantes, les centres de conseil féministes, les projets d'éducation et de rencontre interculturels et d'intégration, la solidarité sans-papiers, le mouvement appelé Second@s, les collectifs antiracistes et postcoloniaux. La rétrospective historique montre que beaucoup de choses ont été accomplies au cours des dernières décennies. Même si le regard sur les abus prévaut souvent dans les mouvements sociaux (c'est dans la logique des choses), ces luttes ont également ému la société suisse.

Cependant, comme souvent, l'histoire est contradictoire et ambiguë. Des questions centrales telles que l'accès à la citoyenneté ne sont toujours pas résolues à ce jour. Et la mise en place du régime d'asile depuis les années 1990 a produit de nouvelles formes d'exclusion et de racisme dans le but de contrôler, oui, de retenir la migration. Tout comme la «lutte contre le terrorisme» depuis le 11 septembre a ouvert des portes à de nouveaux dispositifs de sécurité qui stigmatisent et mettent en danger les personnes perçues comme musulmanes. Cependant, des progrès sur ce terrain ont également été enregistrés avec la politique d'intégration depuis les années 1990. Pour la première fois, l'État a pris la responsabilité de permettre à sa population migrante d'accéder aux services et aux ressources. Et des projets comme INES n'auraient peut-être pas été réalisés sans la politique d'intégration mise en place à l'époque. D'autre part, dans la notion d'intégration, autrefois cri de guerre du mouvement Mitenand et en particulier des groupes migrants, se sont inscrites de vieilles craintes de surpopulation étrangère et de l'impérialisme d'assimilation, précisément en raison de son succès inattendu. La société post-migrante est marquée par de telles ambiguïtés. La question de savoir comment la relation entre la nationalité, la citoyenneté, la participation, l'appartenance et l'accès aux ressources est conçue est loin d'être résolue. Ce qu'il faut, c'est une large compréhension de la citoyenneté ou d'une citoyenneté dans la Nouvelle Suisse.

Qu'en est-il de la démocratie suisse tant vantée, que la Suisse officielle cultive fièrement comme sa marque de fabrique? Que signifie démocratiser la démocratie suisse à l'ère de la migration et de la mondialisation? Comment peut-on remettre en question les frontières nationales, par exemple dans une perspective transnationale et mondiale, sans devoir abandonner l'État-nation en tant que projet politique et cadre de référence pour les préoccupations d'émancipation? Comment la Suisse peut-elle assumer sa responsabilité en tant qu'acteur global de l'économie mondiale et soutenir ainsi les processus de solidarité locaux, nationaux et mondiaux? Sur quels sujets, sous quelles formes et dans quelles conditions peut-on construire des alliances et des collaborations entre différentes luttes pour une vie agréable? Comment peut-on aborder le racisme et les séquelles coloniales dans la Suisse d'aujourd'hui, sans approfondir les divisions le long de l'identité, de la couleur de peau, du groupe social et de la vision religieuse du monde ou même les ancrer de manière essentialiste? Et en général: comment mettre en évidence les abus et construire des passerelles en même temps?

Sur la voie d'une Nouvelle Suisse

Après sa fondation en 2016, la première année, INES a invité une centaine de participants de toute la Suisse à une première évaluation de la situation de la Suisse post-migrante. Depuis lors, bien des choses se sont passées: des analyses et des projets dans les domaines des médias, du droit, de la culture et de l'éducation ont été développés dans des groupes de travail et des salons publics à Bâle, Berne, Genève, Saint-Gall et Zurich; des late shows sur des sujets tels que la diversité, la citoyenneté, la critique du racisme, le travail et les frontières ont été organisés. Dans le domaine de la politique des médias, la fondation de l'association indépendante Neue Schweizer Medienmacher:innen NCHM* (nouveaux·elles faiseur·euse·s de médias suisse) a vu le jour. Dans le domaine du droit, INES a participé à la création de l'association Action Quatre Quarts, qui milite pour une réforme fondamentale de la citoyenneté. Dans le domaine de la politique éducative, INES a lancé, en collaboration avec la Fondation Mercator, le projet «Culture scolaire post-migrante» visant à promouvoir l'égalité des chances dans les écoles pour les enfants et les jeunes ayant une biographie de migration et une expérience du racisme. INES a également pu s'impliquer dans la politique culturelle: par exemple avec le projet «Atelier Nouvelle Suisse Bâle», une coopération entre INES, la Kaserne Basel et la Literaturhaus Basel; au Theater Gessnerallee, avec un débat politique sur la démocratie et la diversité dans la culture; et au Theater Neumarkt avec la série Un/Safe Spaces comme espace pour une réflexion autocritique sur les engagements antiracistes. Le manuel reflète les nombreuses dimensions culturelles dans lesquelles les questions d'appartenance sont abordées.

Une association a également été fondée avec Friends of INES (FrINES), qui a pour objectif de créer des offres à bas seuil pour un large public et de s'adresser aux jeunes. FrINES a par exemple participé à l'établissement du collectif Ostschweiz mit Migrationsvorsprung, qui rend la perspective des personnes ayant une histoire migratoire et une expérience du racisme plus visible en Suisse orientale, entre autres avec le premier talk-show suisse de la «clandestinité migratoire»: We Talk. La Suisse sans filtre. L'échange d'INES avec d'autres acteurs et initiatives de la société civile s'est également exprimé dans ce manuel.

Pour une citoyenneté équitable et une responsabilité mondiale

S'il est important de promouvoir un changement culturel et de mettre à jour les notions d'appartenance dans une Suisse post-migrante, il est également important que cela s'accompagne d'un changement structurel des institutions et d'une adaptation des bases juridiques attendue depuis longtemps. Par exemple, la citoyenneté concerne l'appartenance symbolique et la participation politique, mais aussi des questions existentielles telles que la sécurité du séjour, la sécurité sociale, l'accès aux ressources et aux opportunités sur le marché du logement et du travail, aux offres d'éducation et de santé. Pour façonner l'avenir, il est également important d'apprendre d'une histoire dans laquelle les droits fondamentaux et les droits de l'homme fondamentaux des migrants ont été violés à plusieurs reprises, par exemple dans le cas de ceux qu'on a appelés les «enfants cachés» des familles ouvrières italiennes dans les années 1970. Le traitement de cette pratique violente dans le système dit des travailleurs immigrés montrerait également, espérons-le, que les droits de l'enfant et de la famille, en particulier dans le système d'asile, dans l'aide d'urgence ou chez les sans-papiers, continuent d'être trop souvent violés.

Mais le présent manuel jette également un coup d'œil sur les interdépendances mondiales de la Suisse, sociales, culturelles, politiques et économiques, et sur la question de la coresponsabilité des inégalités de prospérité, des injustices et des inégalités internationales. La Nouvelle Suisse ne s'arrête pas aux frontières nationales. La richesse et le niveau de vie élevé de la Suisse d'aujourd'hui, ainsi que le fonctionnement de notre vie quotidienne, avec ou sans biographie migratoire, dépendent en grande partie de la consommation de ressources qui ont été extraites et élaborées ailleurs. Cela se reflète par exemple dans le rôle de la Suisse en tant que plaque tournante du commerce mondial des matières premières, et en tant que refuge de l'évasion fiscale et du capital douteux des gagnants de la mondialisation et des régimes autoritaires. Dans le même temps, l'économie suisse dépend fondamentalement de l'immigration. La Suisse fait partie du régime migratoire européen, qui repose sur une division de la libre circulation intérieure au sein de l'UE et sur une délimitation sélective par rapport aux pays tiers, et dont la politique d'asile est devenue de plus en plus restrictive au cours des dernières décennies. Comment pourrait-on repenser et redéfinir de manière autocritique l'image de soi humanitaire et neutre de la Suisse dans le contexte international et, en particulier, européen en ce qui concerne les relations post-migratoires et postcoloniales? Et qu'est-ce que cela signifie pour la culture de la mémoire et l'interprétation du passé?

Les nombreux auteurs de ce manuel, issus d'horizons divers, avec leurs essais, leurs histoires biographiques, leurs textes littéraires, leurs contributions artistiques, leurs perspectives historiques, leurs diagnostics contemporains et leurs visions de l'avenir, contribuent à développer un espace d'imagination et de conversation pour la Nouvelle Suisse. Le présent livre tend la main et invite à plus de participation et d'opposition, à une action courageuse et à une pratique solidaire. Cet espace reste délibérément une sorte de collage. Les perspectives, même contradictoires et ambiguës, sont juxtaposées et amenées à dialoguer. Le manuel ne reflète pas la position d'INES, mais crée une plate-forme multivoix qui souhaite inciter à la réflexion, à la conversation et à la discussion; et qui doit avant tout encourager: Vers une Suisse avec une origine migratoire, yalla, andiamo, chalo, vamos...!

INES – Institut Nouvelle Suisse